Quels étaient nos besoins ?
Le déploiement de la plateforme de suivi de plaie Pixacare dans le service de chirurgie vasculaire en fin 2021 permit une évolution importante dans nos pratiques. Cette réflexion remontait à 2018, portait avant tout sur la possibilité de mettre en place un suivi à domicile.
En permettant aux patients évoluant favorablement de rester au domicile, une plateforme de télésurveillance devait nous permettre d’alléger des consultations surchargées. Bien entendu, elle prenait ensuite en 2020, lors des vagues COVID et de la fermeture puis des réouvertures partielles de l’hôpital, une toute autre importance. Le suivi à domicile bricolé, par e-mail ou messagerie électronique, devait être organisé, et nous poussait à choisir en fin 2021.
Nous avions aussi besoin d’une solution dédiée à l’archivage et à la traçabilité de l’activité plaie et cicatrisation. Les adaptations réalisées sur notre Dossier Patient Informatisé (DPI), DxCare, restaient peu adaptées à notre usage. L’ouverture de la consultation à divers intervenants – au-delà des chirurgiens, création de consultations de suivi par nos infirmières spécialisées Plaie et cicatrisation (IDEPC), intégration d’angiologues et de gériatres – nous imposait un dossier commun.
Pourquoi choisir Pixacare ?
Ce choix a été réalisé parmi une sélection de trois solutions (dont TMM software, Pulsy) à partir des besoins définis ci-dessus, mais aussi du fait:
- de l’absence d’installation de client, avec un emploi en cloud;
- de sa simplicité d’emploi, notamment de sa construction centrée sur l’acquisition par smartphone, via une application dédiée (évitant ainsi d’avoir à reversé une photographie dans une autre application);
- de sa gratuité sur le versant des infirmiers libéraux, dans une version pleinement fonctionnelle.
Au delà du logiciel qui n’était alors qu’une photothèque médicale personnelle, la proximité et l’écoute de l’équipe nous a permis d’adapter cette solution à nos attentes.
La photothèque médicale.
Elle répond à trois objectifs bien définis: organiser, comparer et archiver le suivi des plaies, centré sur la réalisation de clichés photographiques.
Organiser le suivi photographique.
Aussi évident que cela puisse paraître, la possibilité de conserver et d’accéder facilement à l’ensemble des documents de suivi, quel que soit le lieu (consultation, hospitalisation, autres services) et l’intervenant (infirmier, médecin) modifie de manière marquée le déroulement de la prise en charge. Il s’agit ici de ne pas perturber l’organisation du travail de l’équipe infirmière du service, qui n’attend pas le médecin pour refaire le pansement; et là, de prendre en charge le patient en l’absence de son médecin référent, en ayant la totalité de l’évolution disponible. Cela permet aussi d’encadrer une autonomisation des infirmiers dans la pratique quotidienne, en permettant une discussion a posteriori des choix de pansement par exemple.
Comparer et évaluer l’évolution de la plaie.
Elle peut se dérouler en se basant sur la comparaison de plusieurs images, après les avoir glissées dans le ‘tiroir de comparaison’.
Cette surveillance peut aller au-delà de la simple comparaison photographiques, via l’emploi de formulaires. Ces formulaires sont centrés sur la classification TIME qui semble aujourd’hui la plus pertinente pour le suivi évolutif des plaies chroniques en général, mais aussi sur des éléments de tolérance des soins. La classification TIME évalue:
- La qualité des tissus, notamment la proportion de tissu bourgeonnant;
- Les critères d’infection de la plaie chronique;
- Le volume d’exsudat;
- La qualité de la peau périlésionnelle.
Ces formulaires permettent de déboucher sur des bilans d’évolution, qui au delà des données de chaque séquence, donnent une évolution des divers paramètres quantifiés.
Archiver ces données dans le Dossier Patient Informatisé.
Il s’agit de centraliser la totalité de ces informations dans le DPI (pour nous: DxCare), plus dans un objectif médico-légal que clinique – le format d’export en .pdf étant moins pertinent à exploiter que les données originelles. L’interface entre le DPI et Pixacare est assuré via la plateforme Lifen, afin de permettre de simplifier et de solvabiliser les interface – la plateforme Lifen ayant vocation à servir de sas mutualisé entre le DPI et la plupart des applications satellites. Cette interface se fait dans deux directions:
- Du DPI vers Pixacare, pour assurer via la GAM l’identitovigilance patient;
- et de Pixacare vers le DPI (sur notre site, dans les documents externes, afin de préserver les serveurs critiques).
La possibilité d’une télésurveillance.
Cet objectif était initialement assez égoïste. Il s’agissait certes de limiter les déplacements des patients, mais surtout de permettre le désengorgement de consultations qui débordaient, en ne voyant plus de manière systématique les patients qui n’en avaient pas besoin. Le verrouillage de l’accès à l’hôpital durant les épisodes de confinement subis lors des épidémies de COVID ont conduit à une gestion en télésurveillance subie et bricolée, par mail notamment. Cette difficulté d’accès a forcé ce mouvement vers la télésurveillance, avec un programme qui a été lancé lors de la vague COVID de décembre 2021.
Les objectifs de la télésurveillance des plaies chroniques sont clairs:
- Limiter le recours à la consultation physique lorsque l’évolution est favorable;
- Faciliter la continuité des soins dans les situations d’éloignement géographique ou social (précarité, psychiatrie notamment);
- Augmenter la disponibilité de la consultation pour permettre des prises en charge plus précoces;
- Permettre d’augmenter la fréquence des consultations dans les prises en charge complexes;
- Compléter l’offre de soins, en libérant du temps pour les mesures de perfusions, l’emploi de PRP par exemple.
Après définition du cahier des charges et adaptation de la solution, nous avons pu employer Pixacare à cette fin à partir de début 2022. Cette solution repose sur un partage partiel du dossier du patient, à partir d’une clé – un QR Code qui reste en possession du patient, et qu’il fournira aux divers soignants impliqués.
Lorsque une séquence de surveillance (au minimum, un cliché, mais aussi complément par un formulaire de suivi) est fournie par l’IDE (libérale surtout, mais aussi salariée en structure de soins type HAD, SSR, EHPAD), un message est envoyé au médecin requérant, qui peut consulter cette séquence et dialoguer via un chat avec les soignants entourant le patient. Ce sont, sur 11 mois d’emploi, 92 télésurveillances qui ont été envisagées, dont 30 toujours en cours. Initialement, une mise en place un peu précipitée, notamment une communication pas assez structurée, provoqua un taux d’échec important. Notamment, autant l’emploi fut rapidement installé chez beaucoup de soignants libéraux, autant l’acceptation de la solution par les structures de soins a été plus longue à obtenir.
Aujourd’hui, il nous semble que cette prise en charge est efficace, pour peu qu’elle soit organisée, notamment par rapport à l’information des patients et des soignants sur cette modalité. L’inertie constatée au départ sur les structures de soins est aujourd’hui largement levée, notamment du fait d’un bénéfice financier direct (ces établissements ayant à payer le transport jusqu’à la consultation) et organisationnel (il est beaucoup plus simple d’envoyer une séquence que d’organiser le transport d’un patient). Les infirmiers de ville ont perçu rapidement le bénéfice d’une telle application, en permettant d’assurer une communication aisée avec le centre plaie et cicatrisation. Au delà, il nous permet de personnaliser une relation de travail, en imposant de sortir d’un schéma prescripteur – exécutant.
Ceci nous permet d’envisager une généralisation de cette prise en charge. Toutefois, nous mettons en place au préalable une étude prospective (voir le détail ici ), afin de:
- Confirmer d’en confirmer la sécurité;
- Quantifier les bénéfices notamment en terme de réduction des déplacements et du recours aux soins urgents;
- Evaluer la satisfaction sur les versants patients et soignants.
L’analyse semi-automatique de la plaie.
Le principal écueil de la prise en charge de la plaie chronique porte probablement sur une analyse très subjective de la lésion. Même lorsque elle se base sur des grilles structurées, comme la classification TIME, la variabilité inter-opérateur est très importante. De plus, le suivi de la surface de la plaie est probablement le meilleur critère d’évaluation de la qualité des soins prodigués. Hors, elle est soit prohibitive car chronophage (mesure sur calque), soit très imprécise, par exemple sur des mesures des grand et petit axes de la plaie.
De même, la qualité des tissus (tissu bourgeonnant, fibrineux ou nécrose) est un élément fondamental dans l’adaptation des soins. L’objectif est de permettre une analyse automatisée, via des algorithmes d’apprentissage profond, de ces critères pour permettre de mesurer de manière fiable ces éléments et d’assurer un suivi précis, une adaptation fine des prises en charge.
Cet algorithme, actuellement fonctionnel en stade pré-clinique, sera évalué de manière formelle lors d’une étude clinique qui sera réalisée dans le cadre du service en mai 2023.
Nos besoins … Et au-delà ?
A ce jour, les besoins concernant la traçabilité et l’archivage du suivi des plaies sont pourvus. La télésurveillance est efficace, et ne réclame qu’une évaluation plus formelle avant généralisation. Le module de mesure de surface et de la qualité des tissus sera évalué dans les mois à venir, avec des résultats préliminaires prometteurs. Au delà de ces besoins (presque) assouvis, il est important d’envisager les usages potentiels d’une telle solution, afin de continuer à progresser vers une optimisation de la prise en charge de la plaie chronique.
Aide au diagnostic étiologique ?
Définir la cause de la plaie est le point de départ de la cicatrisation, car on ne traite pas une plaie sans traiter sa cause. Toutefois, ce diagnostic étiologique reste difficile et souvent mal réalisé, ce qui conduit à un allongement des prises en charges.
La mise en place d’une aide au diagnostic semble assez aisé, ne serait qu’en suivant la trame des classifications disponibles, via un chatbot ou un formulaire spécifique.
Le cumul de données permis par cette solution permet aussi de réaliser des classifications statistiques, que ce soit par des techniques types clusters ou d’arbres décisionnels.
Evaluation de la bonne évolution d’une plaie ?
Passer de la surface de la plaie à sa variation sur un temps donné permettra d’apprécier de manière fine et efficace quelles sont les prises en charge optimales, et ce en le corrélant à la situation clinique du patient. Ainsi, on peut imaginer discriminer aisément les patients évoluant favorablement et ceux qui stagnent, et qui donc nécessitent une intensification de la prise en charge.
Utilisation par le patient en autonomie ?
Une auto-surveillance des lésions cutanées doit être envisager dans le suivi des pathologies cutanées chroniques (eczéma, psoriasis), dans le cadre de prise en charge centrées sur le patient et son expérience (de type PROM: Patient reported outcome measures). De même, dans un domaine plus chirurgical, la prise en charge post-opératoire notamment dans les protocoles de Réhabilatation Accélérée Après Chirurgie peut reposer sur de l’évaluation de la plaie post-opératoire.
Autres emplois.
L’analyse d’image est peut être le premier emploi des méthodes d’apprentissage profond. Son emploi dans le cadre du diagnostic des lésions en oncologie dermatologique a déjà était envisagé (par exemple par Shetty et al. ). Toutefois, le volume de données requis est faramineux, avec notamment nécessité dans cette publication d’utiliser des données synthétiques.
En conclusion.
- Pixacare * est d’ores et déjà une solution efficace pour gérer:
- La gestion d’une photothèque médicale et son archivage;
- La réalisation de télésurveillance.
La télésurveillance, sa sécurité et son efficacité seront étudiées dans une étude qui démarrera en début janvier dans le service.
Le module de segmentation des plaies (mesure de surface, analyse de la qualité de la plaie) sera évalué sur une étude clinique en début mai 2023, pour validation CE et FDA.
L’analyse de la plaie chronique, de la plaie opératoire, des lésions dermatologiques bénignes et malignes sera à terme efficacement assistée par de tels modules. Toutefois, ils nécessiteront des volumes considérables de données structurées pour permettre une entrainement et une validation des modules d’apprentissage profond avant de pouvoir être exploitables en pratique clinique.